Janet MALCOLM
La femme silencieuse
Sylvia Plath et Ted Hugues. Un récit
Traduit de l'anglais par Jakuta ALIKAVAZOVIC
Éditions du sous-sol
Plus que sur la vie de ces deux poètes, c'est sur la complexité à biographer qu'écrit Janet Malcolm. Elle décortique les points de vue, prises de position et angles morts des différent.e.s biographes de Plath.
Elle questionne à sa façon leur éthique et leur rapport à la vérité.
D'une certaine manière, sa démarche la place en surplomb de celles et ceux qui l'ont précédée. Pourtant, elle ne nie pas le fait de prendre elle aussi partie, plutôt pour Hugues en l'occurrence, ce qui ne signifie pas contre Plath.
Elle cite de nombreuses conversations avec les différents protagonistes, des extraits de lettres glanées dans des archives publiques, des poèmes aussi ou encore des extraits des biographies dont il est question.
Ainsi, une certaine Olwyn, sœur de Hugues, qui fut longtemps exécutrice testamentaire de Plath est très présente dans le "récit" et Malcolm retranscrit pas mal d'échanges qu'elles ont eus.
Notons que le livre est sorti aux Etats-Unis en 1994, soit plus de 30 ans après la mort de Sylvia Plath. Pour la version française, il aura fallu attendre 2023. Ça tombe bien, il n'est jamais trop tard pour publier un bon livre.
Comme Olwyn et Hugues, Malcolm déplore la tendance fouille-merde des biographes de manière générale, et de ceux de Plath en particulier (le suicide, ça vend bien). Elle met ça en parallèle avec les attentes financières des auteurices (je kiffe ce mot) et éditeurices (pareil).
A ce sujet, la résolution d'un malentendu avec Hugues grâce à un mot illisible tiré d'une lettre de la mère de Plath est vraiment excellent.
NB : si vous n'avez pas compris, c'est normal, mais je vous assure que c'est top. Il faut juste lire le livre jusqu'à la fin (ou ne lire que la fin éventuellement).
Là encore, Malcolm se place en surplomb mais ne nie pas d'être prise elle aussi par des enjeux financiers et éditoriaux, estimant que c'est nécessairement le cas du fait de "la fissure par laquelle nous tous, voyous du monde de l'édition, nous engouffrons." (p. 232)
Allez, mange !
Pour certain.e.s des biographes, il est également fait mention de leur opportunisme à publier - si possible des horreurs, donc - sur Sylvia Plath et Ted Hugues, simplement parce que cela leur donne l'occasion de vendre ensuite leur propre prose.
Un autre point théorique et passionnant du livre est cette histoire de vérité et non-fiction. Pour Malcolm, la vérité en littérature ne peut se trouver que dans la fiction car "dans les œuvres d'imagination, nous n'avons pas à envisager de scénarios alternatifs : ils n'existent pas. C'est ainsi et c'est tout. Ce n'est que dans la non-fiction que la question de savoir ce qui s'est passé, ce que les uns et les autres ont pensé et ressenti, reste ouverte." (p.172)
Pour finir, il est quand même pas mal question de Plath dans le livre mais on évite les tentatives malheureuses d'interprétation. C'est son rapport à l'écriture qui est évoqué davantage que sa vie, ou sa vie dans ce qu'elle a comme rapport à son écriture.
Plus qu'un récit, on a affaire ici à une métabiographie. Après lecture, on se demande si ça ne devrait pas être le cas de toute biographie a priori ?
Une chose est sûre, comme souvent le non-fiction américaine, c'est très bien mené et ça fait réfléchir, même quelqu'un qui ne s'intéresse pas aux biographies...
Ah oui, une dernière remarque au sujet de l'excellente traduction qui rend la lecture de ce livre très agréable. Sur ce blog, c'est la deuxième fois qu'il est question d'un livre traduit par Jakuta Alikavazovic.
Un hasard ?
PS : Si vous n'avez jamais lu Sylvia PLATH, je vous conseille chaudement Ariel
Si vous n'avez jamais lu Ted HUGUES, je vous conseille les Birthday letters
Liste des lectures métropolitaines du mois de septembre 2023 :
Janet MALCOLM La femme silencieuse Sylvia Plath & Ted Hugues
J.K. ROWLING Harry Potter
Virginie DESPENTES Apocalypse bébé
Alona KIMHI Moi Anastasia
M. J. CARTER Maharajah
CONAN DOYLE Le chien des Baskerville
KAFKA La métamorphose
Ken FOLLETT Un monde sans fin (pavé qui sert de support à un téléphone)
MOREL et COUTERON Les drogues et les addictions Comprendre, prévenir, soigner
Valérie PERRIN Trois
David FOENKINOS Numéro deux
On discute avec la voisine de strapontin qui lit ce livre : "il n'y a pas de fin, c’est très bien, mon mari a été très déçu, bonne soirée."
Pas le temps de dégainer un flyer du blog, en plus ils sont restés au bureau 😎
Marc DUGAIN Paysages trompeurs
Paolo COEHLO
Driven to distraction
Philip ROTH Ma vie d’homme
Aurélie JEAN Résistance 2050
Christelle BAKIMA POUNDZA Corps noirs : Réflexions sur le mannequinat, la mode et les femmes noires
Agatha CHRISTIE Le train bleu
Maud ANKAOUA Respire
Agatha CHRISTIE Œuvres complètes (un sacré pavé !)
Tad WILLIAMS La légende du noble chat Piste-fouet
Yannick NYANGA et Aurélie JEAN Data et sport : la révolution
La mémoire de l’eau (plein de livres avec ce titre... auteur unknown)
Imbolo MBUE Voici venir les rêveurs
Leïla SLIMANI Regardez-nous danser
Marcel PROUST Du côté de chez Swann
Harlan COBEN Sans défense
Susannah DICKEY Tennis lessons
L’ABCédaire de Klimt
Thomas SAUVAGE Le pouvoir du chien
Marc LEVY Vous revoir
La chronique de Tabarhi, l’ère islamique
Céline DENJEAN Matrices
Jacqueline FLEURY-MARIÉ Résistante
Louisa May ALCOTT Les quatre filles du docteur March
Paul WATZLAWICK Faites vous-même votre malheur
HOOVER Cœurs et âmes
François REYNAERT La grande histoire du monde
Lawrence GOWING Cézanne La logique des sensations organisées
Zouleikha ouvre les yeux
Pierre LEMAÎTRE La famille Pelletier
Toni MORRISON Beloved
Sarah PERRY Le serpent de l'Essex
Malcolm GLADWELL What the dog saw
Valérie PERRIN Trois
Alice ZENITER L’art de perdre
MAUPASSANT Le Horla
Dany LAFERRIÈRE Tout bouge autour de moi
Pierre LEMAÎTRE Le grand incendie
Cathy GLASS Nobody’s saw (à part le dog peut-être... cf.plus haut)
Eric-Emmanuel SCHMITT
(Penser à ne pas inventer une appli qui reconnaisse les couvertures de livres au risque de devenir complètement monopolisée par cette affaire des livres dans le métro.)
Fred VERGAS
Miguel BENASAYAG et Angélique del REY Éloge du conflit
Ruwen OGIEN L’influence de l’odeur des croissants chaud sur la bonté humaine
Alix E. HARROW Les dix mille portes de January
John KENNEDY TOOLE La conjuration des imbéciles
Tous les livres m’échappent aujourd’hui (au moins 6) ! Boutés hors de ma liste par des gestes incongrus ou ma vue qui faiblit.
Eric-Emmanuel SCHMIDT
Danielle STEEL
Fernand POUILLON Les pierres sauvages
BARDO-THÖDOL Le livre tibétain des morts
Un très grand et jeune gaillard laisse sa place à une toute petite dame toute contente
BENOÎT XVI La parole du Seigneur (en direct)
Neige SINNO Triste tigre
DOSTOIEVSKI L’idiot
Stefan ZWEIG Fouché
Samuel BECKETT En attendant Godot
Claire BEREST Rien n’est noir
Philippe SANDS The ratline Love, lies and justice on the trail of a nazi fugitive
Sorj CHALANDON
Pas moins de 4 gagnant.e.s ce mois-ci, avec à chaque fois 2 occurrences :
Valérie PERRIN, Pierre LEMAÎTRE, Agatha CHRISTIE et Aurélie JEAN (qui est "numéricienne")
Des nouvelles (anciennes) du blog :
Le précédent livre dont il avait été question ici traduit par Jakuta Alikavazovic était l'excellent Considérations sur le Homard de David Foster Wallace.
Et puisqu'il est apparu dans la liste ce mois-ci, retour sur un des premiers post de ce blog, En attendant Beckett, et son petit camarade En attendant Beckett (acte 2), les deux dans la catégorie free style. Dans ce dernier post, il est aussi question de l'écrivaine iranienne Négar DJAVADI et de son superbe livre, Désorientale, sorti en 2016 chez Liana Levi.
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